Coup de cœur de Paméla

Jorge Volpi, écrivain mexicain né en 1968, dissèque le corps tiède de son père, mort deux ans auparavant, pour en regarder le cerveau, la main, le coeur, l’oeil, l’oreille, les parties génitales, la peau, les jambes et le foie, autant de parties qui constituent son essai et lui permettent de structurer tout ce qu’il pense de ce monde, et surtout de son pays lui-même pourrissant, le Mexique. Dans une volonté coriace de se raccrocher au tangible et à l’expliqué, il émaille ses anecdotes familiales et politiques de considérations érudites tirées de la peinture, de l’histoire, de la médecine, de la musique comme pour nous « prouver » ce que nous sommes… mais il n’est jamais aussi bon que lorsqu’il raconte « simplement » son père, avec la pudeur d’un tourment affleurant, qu’il sait magnifiquement contrôler, loin du cliché des auteurs furieux et sanguins qu’on aime imaginer. Une lecture nourrissante mais jamais écrasante, au plus près de l’auteur qui nous aide à comprendre que l’ensemble d’un être humain ne se résumera jamais à ses parties, et assouplit notre tolérance face aux différentes trajectoires que chacun mène dans son existence, sans toutefois en contrôler tous les paramètres. Déroutant, inclassable, mais surtout, malgré l’autopsie… toujours vivant.

Jorge Volpi, Examen de mon père

Traduit de l’espagnol (Mexique) par Gabriel Iaculli

Février 2018, Editions du Seuil

272 pages, 21,50 €

L’ouvrage est très agréablement illustré de gravures d’art en noir et blanc.

Présentation de l’éditeur :

« De la même manière que la maladie gâte les organes et les tissus, écrit Jorge Volpi, les maux tels que l’impéritie, la cupidité des puissants ou la corruption généralisée dévastent les structures qui maintiennent en vie et en paix une nation. Les pages qui suivent visent à présenter un examen de mon père, une dissection de ses réussites et de ses échecs, de ses enseignements et de ses faiblesses, de ses convictions et de ses détestations. Elles sont aussi une anatomie de moi-même, et surtout une étude de ma patrie, ce Mexique dolent de la fin du vingtième siècle et du début du vingt et unième. Une autopsie de cette nation de menaces et de cadavres. »

En hommage à son père décédé en 2014, Jorge Volpi retrace, en dix petits essais qui filent la métaphore du corps, la vie de celui qui fut un grand chirurgien et un mélomane éclairé. Évoquant les figures d’Ambroise Paré et de Rembrandt, de Beethoven et de Verdi, chaque texte conduit à la dissection de ce grand corps malade qu’est le Mexique, livré depuis plus d’un siècle aux révolutions, aux soulèvements et aujourd’hui à la barbarie des narcotrafiquants. Un livre érudit, brillant et passionnant.

L’auteur : 

Jorge Volpi, né à Mexico en 1968, a d’abord étudié la littérature et le droit avant de devenir avocat. Il est l’auteur de romans et d’un essai sur l’histoire intellectuelle de 1968. À la recherche de Klingsor, publié en 19 langues, a reçu le prestigieux prix Biblioteca Breve en 1999, attribué avant lui à Mario Vargas Llosa et Carlos Fuentes. Il est considéré aujourd’hui comme l’un des écrivains les plus importants d’Amérique latine.

Le traducteur :

Gabriel Iaculli a traduit à ce jour une soixantaine d’œuvres d’auteurs espagnols et latino-américains, parmi lesquels Federico García Lorca, Miguel de Unamuno, Juan Rulfo, Eduardo Galeano, Juan Carlos Mondragón, Arturo Pérez-Reverte, Sergio Pitol, Julia Ramón Ribeyro, Fernando Savater et Juan Manuel de Prada.

Source : site de l’éditeur

Extrait :

[…] à force d’entendre mes parents et mes amis me taxer de « cérébral », j’ai fini par me considérer comme tel. L’adjectif dénote-t-il une carence ou un privilège ? Même si être ainsi qualifié est en définitive plutôt un avantage, je me suis pourtant drapé dans la déficience, stratégie de survie d’un gamin chétif qui ne pouvait manquer d’avoir appris à ses dépens que cette étiquette inspire diverses réprobations, et aboutit à une condamnation : aussi intelligent que tu sois ou prétendes être, tu n’en es pas moins distant, altier et insaisissable. Dès mon enfance, cette qualification à laquelle je me suis conformé à été à la fois un fardeau et un bouclier. Pour mon père, l’intelligence était une sorte de nec plus ultra, de pouvoir secret qui vous place au-dessus du reste des hommes : la sienne, en effet, n’était pas dépourvue de l’arrogance propre à ceux qui manquent d’assurance.  » Même si les autres te paraissent plus forts que toi, me disait-il, tu pourras toujours les surpasser par l’astuce et la parole », ce qui revenait à opposer un David nerd, « intello », à un Goliath musculeux et rustaud. […]

Pages 46-47, chapitre Le cerveau, ou De la vie intérieure